Ces dernières années, de nombreux textes européens majeurs sont venus réformer le cadre règlementaire applicable dans l’Union européenne en matière de numérique et dans le secteur bancaire et des paiements.
Or, l’application de ces textes à des territoires qui, en raison de l’expansion européenne entamée dès la fin du XVeme siècle, relèvent de la souveraineté de certains Etats membres de l’Union européenne (Nouvelle Calédonie, Iles Vierges britanniques, Iles Falkland…), ne va pas de soi.
De même, de nombreux textes adoptés par les institutions européennes s’appliquent en pratique à des Etats européens non membres de l’UE.
1. L’application du droit européen à des territoires d’outremer liés à des membres de l’UE
Le traité consolidé sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) prévoit deux types de statuts pour les territoires d’outremer appartenant à des Etats membres européens. L’application à chacun des territoires d’outremer d’un Etat membre de l’UE du droit dérivé, et notamment des actes énumérés à l’article 288 du TFUE (règlements, directives, décisions, avis et recommandations) dépend de son statut.
1.1. Les régions ultrapériphériques (RUP)
De nombreux territoires relevant de la souveraineté de nations membres de l’UE et faisant partie intégrante de l’UE, subissent de manière structurelle une situation économique et sociale défavorable aggravée par leur éloignement, l’insularité, leur faible superficie, le relief, le climat difficiles ou encore leur dépendance économique vis-à-vis d’un petit nombre de produits.
Ces régions, situées dans l’ouest de l’océan Atlantique, le bassin des Caraïbes, la forêt amazonienne et l’océan Indien, comptent au total 4,8 millions de citoyens européens. Prenant acte de leurs difficultés, l’Union européenne a prévu un cadre spécifique s’appliquant à ces « régions ultrapériphériques (RUP) » dont l’article 349 du TFUE établit clairement la liste :
- Guadeloupe,
- Guyane française,
- Martinique,
- Réunion,
- Saint-Barthélemy,
- Saint-Martin,
- Açores,
- Madère,
- Iles Canaries,
Comme les autres régions européennes (länder, régions françaises de métropole…), les RUP sont soumis au droit européen. L’article 355§1 du TFUE rappelle d’ailleurs que les dispositions des traités européens sont applicables à ces territoires. En revanche, l’article 349 du TFUE dispose que « le Conseil, sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, arrête des mesures spécifiques » les concernant. La mise en œuvre de ces dispositions repose sur un partenariat solide établi entre la Commission européenne, les régions ultrapériphériques et leurs États membres (la France, le Portugal et l’Espagne).
Concrètement, ces régions sont soumises à la législation communautaire ainsi qu’à tous les droits et obligations attachés à l’adhésion à l’UE, sauf dans les cas où des mesures spécifiques ou dérogatoires sont prévues[1].
Ainsi, en l’absence de mention expresse permettant à ces territoires d’y déroger, les Règlements tels que le Règlement général sur la protection des données personnelles, le Règlement sur les données non-personnelles, le Règlement sur les transferts de fonds ou encore le Règlement relatif aux commissions d’interchange s’appliquent pleinement à ces territoires. De même pour la Directive sur les services de paiement ou celle de 2015 sur le blanchiment et le financement du terrorisme.
1.2. Les pays et territoires d’outre-mer (PTOM)
Contrairement aux RUP, de nombreux territoires relevant de la souveraineté du Danemark, de la France, des Pays-Bas ou du Royaume-Uni ne font pas partie intégrante de l’Union européenne. Conformément aux articles 198 et 355§2 du TFUE, ces « pays et territoires d’outre-mer (PTOM) » font l’objet d’un régime spécial d’association. Il s’agit des territoires listés à l’annexe II du traité :
- Groenland,
- Nouvelle-Calédonie et ses dépendances,
- Polynésie française,
- Terres australes et antarctiques françaises,
- Iles Wallis-et-Futuna,
- Mayotte,
- Saint-Pierre-et-Miquelon,
- Aruba,
- Antilles néerlandaises:
- Bonaire,
- Curaçao,
- Saba,
- Sint Eustatius,
- Sint Maarten,
- Anguilla,
- Iles Caymans,
- Iles Falkland,
- Géorgie du Sud et les îles Sandwich du Sud,
- Montserrat,
- Pitcairn,
- Sainte-Hélène et ses dépendances,
- Territoire de l’Antarctique britannique,
- Territoire britanniques de l’océan Indien,
- Iles Turks et Caicos,
- Iles Vierges britanniques,
- Bermudes.
En pratique, comme le rappelle la Décision 2013/755/UE du Conseil du 25 novembre 2013 relative à l’association des pays et territoires d’outre-mer à l’UE, ces régions ne sont pas soumises à la législation communautaire ainsi qu’à tous les droits et obligations attachés à l’adhésion à l’UE, à l’exception de certaines dispositions qui le prévoient expressément.
Par conséquent, en l’absence de mention expresse, les Règlements tels que le Règlement général sur la protection des données personnelles, le Règlement sur les données non-personnelles, le Règlement sur les transferts de fonds ou encore le Règlement relatif aux commissions d’interchange ne s’appliquent pas à ces territoires. De même pour la Directive sur les services de paiement ou celle de 2015 sur le blanchiment et le financement du terrorisme.
Il convient toutefois de noter que, dans le cas d’une directive, un Etat membre peut très bien choisir d’appliquer le texte à ces territoires de manière indépendante. De même, il peut très bien copier mot pour mot ou adapter en partie les dispositions d’un Règlement européen. Par exemple, le RGPD ne s’applique pas en Nouvelle-Calédonie. Toutefois, la France peut très bien intégrer au droit néo-calédonien les dispositions du RGPD (ce qu’elle risque de faire prochainement).
1.3. Autres territoires (ni RUP, ni PTOM)
Pour complexifier encore la situation, certains territoires, bien que relevant de la souveraineté de certains Etats membres de l’UE, ne sont ni des RUP, ni des PTOM. L’article 355 du TFUE indique que les traités (et donc par conséquent également le droit dérivé) ne s’appliquent pas non plus à ces territoires, c’est à dire :
- aux pays et territoires d’outre-mer entretenant des relations particulières avec le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord qui ne sont pas mentionnés dans la liste précitée » ;
- aux îles Åland ;
- aux îles Féroé.
De même, conformément à l’article 355 du TFUE, les traités ne s’appliquent « à Akrotiri et Dhekelia, zones de souveraineté du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord à Chypre, que dans la mesure nécessaire pour assurer l’application du régime prévu dans le protocole sur les zones de souveraineté du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord à Chypre […] » et les dispositions des traités ne sont applicables « aux îles Anglo-Normandes et à l’île de Man que dans la mesure nécessaire pour assurer l’application du régime prévu pour ces îles par le traité relatif à l’adhésion de nouveaux États membres à la Communauté économique européenne et à la Communauté européenne de l’énergie atomique, signé le 22 janvier 1972. »
La Commission européenne a mis en ligne un tableau résumant les différents statuts applicables à des territoires liés à des pays de l’UE en précisant si ces territoires sont ou non considérés comme des territoires de l’UE.
2. L’application du droit de l’Union européenne aux Etats membres de l’Espace Economique Européen
L’Accord sur l’Espace économique européen (EEE) porte création d’une zone de libre circulation des personnes, des services, des marchandises et des capitaux entre 31 pays européens. Il a pour objet « de favoriser un renforcement continu et équilibré des relations économiques et commerciales » entre ces pays et concerne actuellement les 28 pays de l’Union européenne (UE) et trois des quatre pays membres de l’Association européenne de libre-échange (AELE): l’Islande, le Liechtenstein et la Norvège.
Outre les quatre «libertés» (libre circulation des marchandises, des capitaux, des services et des personnes) et certains aspects d’autres domaines politiques connexes (par exemple l’éducation, la recherche, les affaires sociales, la protection des consommateurs, le droit des sociétés et l’environnement), cet accord couvre les règles relatives à la concurrence et aux aides d’État.
Si les pays de l’AELE ne participent pas formellement au processus législatif de l’UE, ils peuvent toutefois participer aux travaux préparatoires et présenter des observations. Lorsque l’UE adopte un acte législatif, les trois pays de l’AELE déterminent si cet acte présente de l’intérêt pour l’EEE. Si tel est le cas, un projet de décision du Comité mixte est élaboré par le secrétariat de l’AELE en vue de modifier l’accord EEE et d’appliquer ce acte.
Concrètement, lorsque la mention « Texte présentant de l’intérêt pour l’EEE » figure sur un acte juridique de l’UE, celui-ci a vocation à s’appliquer à l’EEE dans son ensemble. C’est en pratique le cas pour l’ensemble des Règlements et Directives précédemment mentionnés dans cet article (RGPD, DSP2, MIF…). Ainsi, par exemple, la mention « Texte présentant de l’intérêt pour l’EEE » figurant en tête du RGPD a pour conséquence d’étendre à l’EEE l’interdiction de principe (assortie de nombreuses dérogations) de transférer des données à caractère personnel hors de l’UE.
Alexandre Mandil