Interview publiée dans la newsletter n°24 – 29 avril 2022 de Souveraine Tech.

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2/ Cryptomonnaies, blockchain, web3…Tout cela vous apparaît-il comme une opportunité ou une menace pour les États ?

Je suis mitigé sur la question. Du point de vue des Etats, les cryptoactifs représentent d’abord une menace. En effet, les cryptoactifs reposent sur différentes blockchains répondant à des caractéristiques différentes mais qui sont le plus souvent décentralisées. A ce titre, elles ne sont pas directement sous le contrôle des Etats et des banques centrales et représentent un réel défi pour la souveraineté des Etats. On se souvient notamment du projet de cryptomonnaie stable (stablecoin) Libra/Diem initié par Facebook/Meta en janvier 2019 qui, en raison du nombre d’utilisateurs de Meta dans le monde, de sa stabilité par rapport au Bitcoin et des participants évoqués (Visa, Mastercard, PayPal, Stripe, Ebay…) avait provoqué une levée de boucliers des différentes banques centrales dans le monde jusqu’à aboutir au départ du projet de la plupart de ses membres fins 2019 puis à l’abandon du projet en début d’année 2022. Ce projet avait été vue comme une atteinte par les Etats, Etats-Unis compris, à leur monopole monétaire et est à l’origine de la plupart des projets de règlementation.

Encore aujourd’hui, la France, avec la Loi Pacte de 2019, est l’un des seuls pays européens à disposer d’une règlementation des « cryptoactifs » et des émissions de jetons (ICO). Toutefois, la Commission européenne a présenté en 2020 son paquet « Finance numérique » intégrant notamment une proposition de Règlement sur les marchés de cryptoactifs (MICA) qui vise à encadrer les émetteurs de cryptoactifs et les fournisseurs de services sur cryptoactifs (CASP). Cette proposition s’inspire en partie du régime d’enregistrement français mais intègre un régime obligatoire d’agréments pour certains acteurs (actuellement facultatif en France) et prévoit des exigences inédites relatives aux émissions de stablecoins afin de répondre aux risques pour la stabilité financière et pour la conduite d’une politique monétaire ordonnée qui pourraient résulter de ces derniers. L’Union européenne n’est toutefois pas la seule à vouloir réguler les prestataires du secteur des cryptoactifs. Au Royaume-Uni, la Financial Conduct Authority (FCA) leur a fixé un ultimatum pour s’enregistrer afin d’obtenir une licence les autorisant à poursuivre leurs activités sur le territoire, tandis qu’aux Etats-Unis, les projets de règlementation se concrétisent et qu’en Chine la réglementation se durcit davantage. 

Le paradoxe est que les cryptoactifs ne sont, le plus souvent, pas considérés juridiquement comme des monnaies, car n’ayant pas cours légal, contrairement au dollar, à l’euro etc. Toutefois, les Etats ont de plus en plus tendance à vouloir réguler les cryptoactifs en leur imposant des règlementations similaires à celles applicables… aux monnaies. Ainsi, au nom de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme par l’intermédiaire de cryptoactifs (pratique représentant une infime parti des transactions effectuée via les cryptoactifs mais en progression constante), l’Union européenne entend réviser le règlement de 2015 sur les transferts de fonds en devise afin d’appliquer les strictes obligations de transparence, de déclaration des opérations et de « screening » des risques aux cryptoactifs. Cependant, les cryptoactifs représentent également une opportunité pour les Etats. D’abord, pour certains Etats, qui, à l’instar du Salvador et de la Centrafrique, reconnaissent ou étudient la possibilité de reconnaitre les cryptoactifs (et notamment le Bitcoin) comme monnaie légale en parallèle de leur propre monnaie souvent fragile. Ces initiatives sont toutefois critiquées par le Fonds monétaire international et constituent objectivement un pari particulièrement risqué pour la sécurité et la stabilité financière de ces pays qui ne maitriseront plus totalement leur politique monétaire et les transactions réalisées et pourraient ouvrir en grand la porte aux activités mafieuses.

Sans aller jusqu’à reconnaitre les cryptoactifs en tant que monnaies légales, de nombreux Etats, qui les interdisaient jusque-là, sont revenus sur leur décision. C’est notamment le cas de l’Ukraine, de la Russie et de l’Inde.

D’autres pays parient sur l’émission de monnaie numérique par les banques centrales elles-mêmes afin de concurrencer les cryptoactifs privées. C’est notamment le cas de la Banque centrale européenne (BCE) qui étudie depuis 2020 la possibilité de créer un euro numérique utilisable pour les paiements de détail (c’est-à-dire pour les dépenses courantes des particuliers et des entreprises) et qui serait échangée à parité avec l’euro. La BCE entend ainsi déployer l’euro-numérique d’ici à cinq ans pour répondre au déclin des paiements en espèces au profit de la dématérialisation croissante des paiements et à la multiplication des cryptomonnaies. Elle s’inscrit dans le contexte de développement de projets similaires, notamment aux États-Unis (réflexions de la Federal Reserve) et en Chine (le e-yuan est désormais opérationnel sur les téléphones depuis le mois de mars 2021).

Enfin, s’agissant du métavers particulièrement en vogue aujourd’hui dans l’actualité, Emmanuel Macron a évoqué pendant la campagne présidentiel la nécessité de créer un métavers européen. L’idée part d’une bonne intention néanmoins ce projet reste totalement flou et le concept demeure bien mal défini… Il y aurait d’ailleurs beaucoup à dire et à écrire sur les métavers en tant que tel…

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