« Les Français savent-ils garder un secret ? » titrait en août le journal The Australian au lendemain d’une fuite massive de données sensibles, bien que non-classifiées, sur fond de cruciales négociations avec l’Australie pour la fabrication de sous-marins. Cette énième affaire d’espionnage économique a le mérite de rappeler le rôle stratégique de l’information et l’importance de sécuriser le patrimoine informationnel des organisations et en particulier des entreprises. Les conséquences d’une violation de secrets d’affaires sur la réputation des sociétés, l’innovation et, in fine, sur l’emploi, sont bien souvent dramatiques.

Protéger l’innovation et l’emploi…

Pourtant, si le caractère stratégique de l’information est désormais largement reconnu, les entreprises attaquées ne disposent aujourd’hui d’autre choix que de s’appuyer sur des fondements juridiques souvent inadaptés et parcellaires. La concurrence déloyale, le vol d’informations, le secret de fabrique, la violation droits de propriétés intellectuelle ou encore l’abus de confiance ont certes leur utilité mais ne sauraient pallier l’existence d’un délit spécifique en matière de protection du secret des affaires et de sanction de leur divulgation. Pour combler ce manque, plusieurs textes de lois visant à instaurer un cadre légal adapté à la guerre économique que se livrent entreprises et Etats ont été envisagés. Malheureusement, aucun n’a abouti. Le dernier en date, un amendement contenant des dispositions relatives au secret des affaires, a été intégré dans le projet de loi Macron en 2015… avant d’être retiré par le gouvernement.

Face à la pusillanimité du législateur français, c’est finalement d’Europe que viendra la protection tant attendue. Adoptée le 8 juin 2016, la directive 2016/943 sur la protection des secrets d’affaires[1] ambitionne d’offrir un cadre harmonisé aux Etats membres et à la hauteur des législations des concurrents chinois et américains[2]. Est désormais protégée par le secret des affaires l’information qui n’est pas publique ou « aisément accessible », qui a une « valeur commerciale » parce qu’elle est secrète et qui fait l’objet de « dispositions raisonnables destinées à [la] garder secrète »[3]. Cette troisième condition n’est d’ailleurs pas sans conséquence. Les entreprises désireuses de protéger une information devront ainsi veiller à intégrer des dispositions spécifiques (marquage, classification ou encore dépôts) dans leur politique de confidentialité. La directive fixe en outre des règles communes de protection des secrets d’affaires, notamment procédurale et instaure également des sanctions principalement civiles mais également, à la discrétion de l’Etat, pénales, en cas de divulgation illégale de ces secrets.

… Sans sacrifier le droit à l’information de la société civile

Ces dispositions destinées à faciliter la demande de réparation devant les tribunaux en cas de vol ou d’utilisation illégale d’informations confidentielles commerciales ou technologiques (recette, composant chimique, prix, date de lancement…) ont donné lieu à une très forte mobilisation de la société civile craignant que la directive ne trouve également à s’appliquer aux journalistes et autres lanceurs d’alertes. Ces craintes ont d’ailleurs récemment été renforcées par l’affaire Luxleaks et la condamnation au Luxembourg en juin 2016 de trois lanceurs d’alertes[4] sur les fondements de « complicité de vol domestique, violation du secret professionnel et violation de secrets d’affaires ».
Prenant en compte ces inquiétudes, la directive[5] envisage dans sa version définitive plusieurs dérogations dans son application et notamment lorsque la divulgation doit permettre d’exercer le droit à la liberté d’expression et d’information et/ou de révéler une faute (professionnelle par exemple) ou une activité illégale, dès lors que le défendeur a agi dans le but de protéger l’intérêt public général. Elle devient ainsi le premier texte européen majeur à faire référence à la protection des lanceurs d’alerte en attendant un futur texte européen protégeant spécifiquement les lanceurs d’alertes[6]. La question de la protection des lanceurs d’alertes demeure toutefois ouverte dans les cas où les informations ne constituent ni une activité illégale ni même une faute mais une pratique moralement et politiquement questionnable et pourrait bien être tranchée par les Etats membres, ces derniers disposant de deux ans pour transposer la directive dans leur droit national, et/ou par une future jurisprudence de la CJUE.

Les avocats, garant de l’équilibre entre secret et transparence ?

Reste que face à la difficile quête d’un point de Lagrange entre la nécessaire protection de l’information stratégique des entreprises et le légitime droit d’informer la société civile, les avocats ont incontestablement un rôle à jouer. La célèbre ONG Transparency International rappelait à cet effet que l’avocat est l’interlocuteur naturel de potentiels lanceurs d’alerte perdus face à l’ampleur d’une affaire et à la complexité du droit les protégeant. Par ailleurs, fort de son secret professionnel, l’avocat est seul en mesure de pallier l’absence de legal privilege en droit français pour les juristes d’entreprises et peut assurer la protection d’informations sensibles ne devant pas tomber entre les mains de concurrents.

Pourtant, ce rôle de garant de l’équilibre entre secret et transparence est aujourd’hui menacé tant par le juge français que par le juge européen. En considérant que les écoutes et autres interceptions ne sont couvertes par le secret professionnel qu’à condition que l’avocat ait été officiellement désigné par le justiciable en cause pour assurer sa défense pénale, la Cour de cassation[7] semble exclure le secret professionnel, non seulement du contentieux civil, commercial et prud’homal, mais également de toute activité de conseil. En outre, si le juge européen[8] a récemment rappelé que le secret professionnel ne doit pas être limité aux situations où le justiciable serait mis en examen, témoin assisté ou placé en garde, il confirme le basculement vers un secret professionnel opposable uniquement a posteriori lorsque aucune participation de l’avocat lui-même à des faits constitutifs d’une infraction n’a finalement été identifiée au cours de l’enquête.

Dès lors, si cette évolution vers une restriction du secret professionnel devait se confirmer, ce serait un coup sévère porté au secret des affaires en plus d’être une atteinte grave au caractère fondamental de l’avocat, confident nécessaire dans un Etat de droit démocratique. « Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux » affirmait Benjamin Franklin.

[1] Directive (UE) 2016/943 du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d’affaires) contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites

[2] Le 11 mai 2016, les Etats-Unis ont adopté le “Defend Trade Secrets Act” renforçant leur législation en matière de protection du secret des affaires.

[3] Article 2 de la directive sur la protection du secr.et des affaires, inspiré de l’article 39 de l’accord ADPIC de l’OMC.

[4] Antoine Deltour, Edouard Perrin et Raphaël Halet.

[5] Article 5 de la directive sur la protection du secret des affaires.

[6] Considérant 20 de la directive sur la protection du secret des affaires.

[7] Cass. crim., 22 mars 2016, n˚ 15-83.206, FS-P+B et n˚ 15-83.205 FS-P+B.

[8] CEDH Versini-Campinchi et Crasnianski c. France, 16 juin 2016.

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